ARTS PREMIERS
L’art tribal est en général un art visuel qui couvre l’ensemble des créations culturelles des peuples d’origine indigène de type non occidental. Certains l’appellent art ethnographique, tandis que « l’art primitif », une expression inventée par Apollinaire en 1915, est aujourd’hui évitée pour sa connotation péjorative. On préfère parler maintenant des arts premiers qui englobent toutes les cultures dont l’écriture est absente et où la tradition est surtout orale.
La particularité de cet art est aussi d’être essentiellement rituel et utilisé lors de cérémonies religieuses dédiées aux ancêtres, aux dieux, mais pas seulement. Les rites auguraux liés aux naissances, aux récoltes et à la bonne venue des événements climatiques s’inscrivent dans une pratique surtout sculpturale. C’est un art où la technique est en retrait : on utilise peu les métaux dont on ne maîtrise pas toujours bien la transformation, et l’on privilégie le bois et la terre-cuite qui sont plus malléables. C’est ainsi que l’on y trouve beaucoup de poteries, des masques, des sculptures en bois et des objets de parure souvent composés de plumes et de coquillages.
Les cultures africaines renvoient à des normes esthétiques spécifiques, ce qui
crée un style reconnaissable entre tous. L’expressionisme et le réalisme sont le mode d’expression privilégié et direct de forces vitales profondes. Souvent l’objet est inscrit dans une hiérarchie religieuse ou politique qui rend le rapport à la réalité humaine et au monde invisible parfois compliqué à comprendre.
L’art océanien privilégie l’animisme et aime le recours aux mythologies savantes et enchevêtrées. Là aussi le culte des ancêtres a toute son importance, entourant les pièces de mystère et de magie par l’utilisation du langage si fascinant des entrelacs et des volutes.
Les arts premiers ont été découverts par l’Occident lors des Expositions Universelles européennes de la fin du XIX è siècle : à Londres en 1862, Amsterdam en 1883, Paris en 1889, ou à Bruxelles, où l’on exposa pour la première fois un stand rempli de noirs indigènes censés simuler les actes de leur vie quotidienne. Peu importe qu’on les montra alors voyageant en gondole vénitienne sur le lac Congo! Les visiteurs restèrent ébahis et avec un sentiment partagé face à leurs objets dont on pensait alors qu’ils étaient des ébauches de bois foncé, barbares et grossières.
Gauguin à l’exposition de 1889 voyant pour la première fois des objets amérindiens se prend à rêver à la création d’un « Atelier des tropiques » ou le degré zéro de l’expression serait l’incarnation de formes originales liées à une spiritualité reformulée. Une ère nouvelle apparaît alors où le primitif est emblème de la modernité. Le changement du schéma évolutionniste occidental aidant, les musées vont accumuler puis cataloguer ces objets « premiers » qu’on trouvait alors si bizarres et les grands collectionneurs s’y intéressent.
Certains objets peuvent sembler difficiles à apprivoiser, mais ce sont aussi leur étrangeté et leur force d’expression qui fascinent. Dans cet esprit je sélectionne ces oeuvres dont la beauté m’étonne, ou dont je trouve qu’ils donnent du recul à la vision plus ordonnée que procurent les arts classiques. Avoir toujours l’esprit ouvert aux manifestations les plus surprenantes de l’art, être prêts à voir et revoir le monde avec un œil toujours neuf, vivre le décalage, voilà à quoi peuvent servir ces objets désormais entrés eux aussi dans la grande histoire des collectionneurs.